L'État patron, c'est moi, je le suis comme Président-directeur général d'une des plus grandes entreprises nationalisées... Nommé par la gauche, tu tomberas avec la gauche, me disent mes amis... L'entretien avec le ministre de tutelle avait duré trente minutes... Après avoir vérifié que j'étais correctement habillé, que je parlais sans vulgarité, que j'étais propre et courtois, il me confirma que ma nomination serait officielle demain à l'issue du conseil des ministres... Je ne savais rien de l'entreprise, mon ministre n'était pas plus au courant... Vous vous débrouillerez, me dit-il. Je jouis d'un pouvoir absolu, bien supérieur à celui de mes collègues du privé... J'ai la liberté d'exercer ce pouvoir à condition de donner, quotidiennement, le sentiment à l'administration qu'elle est utile... En fait l'État surveille tellement ses entreprises publiques, que ces contrôles ne servent à rien. Chez moi, l'État est partout... et de ce fait il est nulle part. Les cons, j'avais besoin d'un milliard de francs. J'en ai demandé trois, ils m'en ont donné deux. L'État me pardonnera de gaspiller un milliard de francs dans une opération industrielle qui échoue... Il ne me pardonnera jamais de lui résister publiquement, fut-ce pour économiser 500 millions sur l'argent public... J'informe son conseil d'administration pour qu'il me fiche la paix... S'il n'était pas d'accord avec ma façon de gérer, je ne vois pas ce qu'il pourrait faire ; je n'ai jamais vu un conseil d'administration d'entreprise publique démissionner son président.