Y a-t-il en tout, mais d'abord dans le malheur, une exception russe ? Une fatalité qui ferait échapper ce peuple et ce pays aux convergences de la mondialisation, qui les ferait diverger d'une évolution favorable qui profite même aux plus déshérités de leurs anciens vassaux ? Des pesanteurs qui, à chaque pas en avant, les tirent à nouveau en arrière ou vers le bas ?
Le mieux est d'y aller voir, comme toujours, mais, à la manière de Michelet brossant ses Tableaux de la France, d'aller, si l'on peut dire, sur le terrain du Temps, là où l'on voit mieux affleurer ou saillir les grandes permanences d'un pays.
Dans le cas russe, ce sont : l'immense espace, et donc ses décompositions et recompositions successives ; le pouvoir total, ses chutes et ses restaurations ; la tentation européenne ou le rejet de cette appartenance ; le retard sur tout et sur tous, et les effets de la conscience de ce retard ; la peur de l'extérieur avec sa double traduction dans l'expansion et l'agressivité.
De quel poids pèsent ces grand traits du passé dans l'évolution de la Russie actuelle, confrontée à un problème qui menace gravement son avenir : une régression démographique sans précédent ? Un tel phénomène, inconnu partout ailleurs, est-il compatible avec la survie d'un pays et la permanence de son identité ?
Tout est-il perdu pour la Russie affaiblie, alors que jamais les chances de renaître à la liberté et de se " mondialiser " n'ont été aussi grandes pour elle ?
Historienne de la Russie, Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuel de l'Académie française, a notamment publié chez Fayard "La Gloire des nations" ," Victorieuse Russie", "Le Malheur russe", ainsi qu'une biographie de Nicolas II et une autre de Lénine.