Cet essai littéraire permettra de mieux comprendre l'origine de certains contes étiologiques européens
Le conte étiologique ou explicatif est appelé à fournir une réponse aux questionnements sur l’ordre des choses, l’origine des espèces, leurs particularités, etc. Dans l’absolu, le corpus étiologique a la vocation de constituer une cosmogonie, une vision du monde cohérente expliquant l’origine et le fonctionnement de l’univers. La notion d’étiologie met en relief la diversité des genres narratifs : conte dans ses nombreuses variétés, du merveilleux au facétieux, légende, chant, mimologisme, etc. Dans la tradition orale, qui reste vivante dans plusieurs pays de l’Est de l’Europe, les récits étiologiques font partie intégrante d’un vaste ensemble de pratiques sociales qui participe à la construction de l’identité collective. Fortement marqué par la religion chrétienne et par la vision dualiste de la création, le corpus étiologique contient des motifs plus anciens, relevant du fonds mythologique indo-européen.
Mais le discours étiologique ne se limite pas à la littérature orale, il est omniprésent dans la culture européenne dès l’Antiquité et jusqu’à aujourd’hui. Il apparaît au moment où l’homme commence à ressentir le désir de savoir et d’expliquer, où la société se construit sa genèse. On découvre sa forte présence à travers les époques dans des domaines aussi divers que la prédication médiévale, les jeux de salon ou encore le marketing politique et commercial.
L’ouvrage qui réunit les articles de vingt-trois spécialistes venus de neuf pays d’Europe apporte une contribution majeure à l’analyse du conte étiologique et à la meilleure compréhension du phénomène étiologique.
A PROPOS DE L'AUTEUR
D'origine russe, Galina Kabakova a obtenu un doctorat en lettres. Elle est spécialisée dans le monde littéraire slave. Elle est également docteur en anthropologie sociale et enseigne la civilisation russe à l'université Paris- IV Sorbonne.
EXTRAIT
En éditant leur recueil de contes populaires allemands, Deutsche Kinderund Hausmärchen (1812), les frères Grimm ouvrent une brèche où tout le monde s’engouffre, tôt ou tard, avec plus ou moins de succès. Leur collecte n’est pas un fruit du hasard ; derrière les Grimm, c’est tout le national-romantisme qu’on retrouve, et avant tout, la théorie du relativisme culturel de Herder, son idée de l’« esprit du peuple » (Volksgeist), sa conviction que le génie est toujours national et que celui du peuple constitue la source de toute fécondité artistique1. D’où, selon lui, la nécessité des collectes, des études, de la sauvegarde des traditions populaires. Or, qu’y a-t-il de plus national que la langue elle-même ? Si le langage représente l’expression immédiate, naturelle et spontanée de l’esprit du peuple, le langage le plus authentique serait forcément le langage populaire. Ceci est un point important : en attirant l’attention sur la langue, Herder déplace les accents d’une façon significative : ce n’est plus uniquement l’intrigue, l’histoire qui compte, mais également la forme – ainsi, l’œuvre relevant de la tradition orale commence à être considérée comme un texte.